Le développement d’une agriculture de proximité et des circuits alimentaires locaux est un enjeu fort en Nouvelle-Aquitaine. Première région agricole et agroalimentaire de France (en termes de valeur et d’emploi), la Nouvelle-Aquitaine jouit également d’une grande diversité de ses productions agricoles.
Différentes politiques ont été menées à ce jour sur le territoire de Nouvelle-Aquitaine par l’Etat à travers la déclinaison de programmes nationaux (Contrats de filière alimentaire, Plan National de l’Alimentation -PNA, Programme National Nutrition Santé –PNNS, Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du13 octobre 2014, loi du 30 octobre 2018 sur l’alimentation durable) et la Région (Schémas et plans régionaux, …). Les objectifs de ces politiques visent à renforcer et à améliorer la compétitivité de la filière alimentaire et à faciliter l’accès du consommateur à une alimentation saine, sûre et durable. Cette reterritorialisation de l’agriculture implique la construction d’un mouvement de retour de l’agriculture vers le territoire en insistant sur la nouveauté de la relation : des nouveaux référentiels de production, de nouveaux objectifs et un nouveau lien au territoire (Tanguay et al, 2019). Dans le même temps, la Région Nouvelle-Aquitaine a fait de la préservation de la biodiversité une priorité politique, matérialisé entre autres par plusieurs études fiancés (ECOBIOSE – déclinaison régionale de la Plateforme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques -, ACCLIMATERRA – le GIEC régional – ) et surtout par NEO TERRA, la feuille de route régionale dédiée à la transition énergétique et écologique. C’est à l’intersection de ces deux volontés politiques que SERANA se positionne en souhaitant questionner les conditions de rapprochement entre l’agriculture et biodiversité urbaine.
En effet, en contexte urbain, l’activité agricole s’inscrit dans l’offre de nature urbaine, les Espaces Verts Urbains (EVU) (Mehdi, L., et al., 2012 ; Efese, 2018 ; Robert, Yengué, 2017). Aussi, cette agriculture a d’autres fonctions que l’alimentation, puisqu’elle est une des composantes importantes des Trames Vertes et Bleues (TVB) – déclinaisons françaises des « Greens Infrastructures » mises en place par la Commission Européenne, inscrites dans le code de l’environnement suite au Grenelle de l’Environnement –. Cet outil d’aménagement impose aux acteurs locaux des objectifs de conservation de la biodiversité. Constituées de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques, les TVB ont une place majeure en milieu urbain (Dlugonski & Szumanski, 2015) et sont au cœur de problématiques de développement durable : comment concilier la croissance de la ville et le maintien de structures vertes, présentes sous différentes formes dont l’agriculture ?
Le projet SERANA ambitionne d’identifier les bienfaits et les retombées qu’apportent la biodiversité des espaces d’agriculture urbaine (AU). De la sorte, il participe à la meilleure connaissance des « services rendus par les écosystèmes » : notion d’un usage relativement récent qui suscite actuellement un engouement patent par la prise de conscience qu’une utilisation durable et multifonctionnelle des écosystèmes, donc des espaces verts. La définition des services écosystémiques proposée par le Millenium Ecosystem Assessment (MEA) est très simple : ce sont les bienfaits que les groupes humains tirent des écosystèmes (MEA, 2005). Le MEA distingue par ailleurs plusieurs catégories de services, sur lesquels nous reviendrons plus loin. La définition s’inspire de celles proposées en 1997 par deux groupes de chercheurs : Gretchen Daily (ouvrage de 1997 : « Benefits supplied to human societies by natural ecosystems ») souligne que les services écosystémiques sont les « conditions et processus par lesquels les écosystèmes naturels et les espèces qui les composent entretiennent la vie humaine et répondent à ses besoins » et Costanza et al. (revue Nature, 1997) présente « les biens écosystémiques (par exemple la nourriture) et services écosystémiques (par exemple l’assimilation des déchets) » comme « les avantages que les hommes retirent directement ou indirectement des fonctions écosytémiques ».
Quatre grands types de services sont distingués par le MEA (2005) : les services d’approvisionnement (produits agricoles, bois, eau potable, fibres et combustible, poissons…), les services de régulation (régulation du climat, des inondations, des maladies, épuration de l’eau…), les services culturels (esthétiques, religieux, récréatifs et éducatifs) et les services de soutien, qui constituent la base des 3 autres types de service (grands cycles géochimiques, formation des sols et production primaire). De façon générale, les écosystèmes procurent de nombreux biens ou produits. Parmi les plus importants dans les villes, sont la biodiversité tant végétale qu’animale, la qualité des sols et la fourniture d’eau douce par les milieux aquatiques et humides.
L’évaluation exhaustive des services écosystémiques est impossible ; elle est rarement effectuée et très complexe (Yengué, 2017). Aussi le projet SERANA propose-t-il de réaliser une étude poussée sur la perception des services rendus par la biodiversité dans les espaces d’agriculture urbaine. La manière dont les usagers, qu’ils soient résidents ou visiteurs, perçoivent la biodiversité dans les espaces verts urbains est déjà bien documentée (Robert et Yengué, 2018a ; Hofmann et al, 2012 ; Muratet et al, 2015 ; Wilson et al, 2017). En revanche, les travaux s’attelant à la perception de la biodiversité auprès des gestionnaires et des acteurs institutionnels et politiques ainsi qu’aux facteurs influençant leurs choix de gestion sont encore minoritaires (Barnes et al, 2018 ; Robert, Yengué, 2018b). Pourtant, ces acteurs locaux (élus, techniciens, agriculteurs, associations) jouent un rôle déterminant en tant que facilitateurs dans l’amélioration de la biodiversité urbaine (Shwartz et al, 2012 ; Joimel, 2015). La manière dont les gestionnaires génèrent et utilisent les connaissances en écologie pour mettre en place leurs projets est peu étudiée (Posner et al, 2015), particulièrement lorsque l’échelle reste locale (Nilon, 2011). Aussi, ce projet de recherche a pour but d’identifier les interactions entre différentes composantes des pratiques d’agricoles urbaines à savoir, les acteurs de promotion de cette forme d’espace verts urbains (élus, techniciens, agriculteurs), les modes de gestion et la biodiversité. La mise en lien de ces trois éléments permettra de valider ou d’invalider l’hypothèse suivante : selon l’objectif principal de l’AU (économique, agrément, vivrier, social), la question de la biodiversité est traitée différemment par les acteurs impliqués dans la gestion, ce qui aura un impact direct sur la faune et la flore. Grand Poitiers Communauté Urbaine sera notre espace test. Trois raisons expliquent ce choix : 1) Il s’est engagé depuis quelques années dans la mise en place d’un Plan Alimentaire Territorial et est donc très sensible à l’AU, 2) les formes d’agricultures y sont très diverses, ce qui facilitera la replicabilité des résultats, 3) nous travaillons avec cette collectivité depuis plusieurs années dans le cadre de différents programmes de recherche. Une mise en perspective sera réalisée dans d’autres territoires régionaux engagés dans des Plans Alimentaires Territoriaux comme Châtellerault, Angoulême, La Rochelle ou encore Bordeaux. En se fondant sur ces territoires, l’objectif est de dresser les enjeux territoriaux des services soutenus par la biodiversité et d’identifier les leviers de décisions pour les politiques publiques régionales à venir.
Les études portées sur la biodiversité, définie comme la quantité et la variabilité des organismes vivants et des écosystèmes (Nonga, 2012 ; Burel et Baudry 2003), ont été souvent détournées des écosystèmes urbains postulant que ces derniers sont hostiles à l’installation d’une telle diversité (Abadie, 2008). La biodiversité urbaine, dans ce contexte, est considérée comme ordinaire et généraliste dépouillée de toute valeur écologique et patrimoniale. De surcroît, il est courant de penser que les communautés végétales installées dans les villes sont des « mauvaises herbes » désordonnées qui compromettent l’aspect esthétique des espaces verts urbains (EVU) tant cherché par les gestionnaires (Saint-Laurent, 2000 ; Aggeri, 2004 ; Mehdi, 2010). Pourtant, compte tenu de leur représentativité au sein du paysage (en termes de surface occupée) et de l’expansion des villes prévue, l’espace urbain représente un enjeu majeur dans la gestion de la biodiversité. Ainsi, ce n’est qu’après la conférence de Rio en 1992 que la biodiversité ordinaire en ville a attiré l’attention de la communauté des chercheurs et des décideurs, faisant l’objet de diverses procédures de protection aussi bien politiques (e.g. nouvelles lois figurant dans le code d’urbanisme) qu’opérationnelles (e.g. une gestion différenciée) (Selmi, 2014)
Aujourd’hui, la ville et les EVU deviennent le support de nouvelles dynamiques écologiques de la biodiversité. Cette dernière fait l’objet de nouvelles orientations scientifiques ayant pour but de comprendre son fonctionnement et de la conserver dans un milieu façonné par les activités anthropiques. (Saint-Laurent, 2000 ; McKinney, 2008 ; Di Pietro, 2018).
Mais en ville, la mise en place des TVB et l’accomplissement des objectifs de conservation de la biodiversité par les politiques publiques se heurtent à plusieurs obstacles. Tout d’abord, tant en écologie qu’en sciences humaines et sociales, l’état des connaissances sur la nature urbaine et les liens que les sociétés entretiennent avec cette nature est encore insuffisant et mal défini (Rouadjia, 2017). Ensuite, certains espaces verts ou de nature urbaine se situent sur des terrains dont le destin n’est pas encore scellé. Bien que protégés juridiquement et plus ou moins intégrés dans les documents de planification dans plusieurs pays européens, ces espaces restent menacés par la pression foncière et leur existence dépend de la volonté des politiques publiques (Guyon, 2008 ; Camproux-Duffrène & Lucas, 2012 ; Mok et al, 2014 ; Mousselin & Scheromm, 2015). Un autre défi auquel doivent répondre les autorités politiques est la multiplicité des gestionnaires, privés ou publics, gouvernementaux ou non, responsables de parcelles de quelques dizaines à plusieurs centaines de m² qui interviennent dans la gestion des espaces verts urbains. Chacun poursuit des buts particuliers, quelques fois antagonistes et les différents groupes d’acteurs peuvent avoir une perception différente de ce qu’il est désirable de changer (Gaston et al, 2013).
Afin d’apporter des éléments de réponses à ces défis, SERANA propose comme cadre d’étude les espaces agricoles en ville. Intégrés dans la TVB (Glatron, 2018), ils répondent à des enjeux multifonctionnels : sociaux, environnementaux, économiques, alimentaires, sanitaires, éducatifs, récréatifs, etc. (Consalès, 2003 ; Duchemin et al, 2010 ; Mok et al, 2014 ; Cabral, 2017). L’agriculture urbaine est définie comme la production de produits végétaux et animaux dans les villes (Zezza et Tasciotti, 2010), généralement intégrés au système économique et écologique urbain local (Mougeot, 2010 ). L’AU peut s’étendre dans les zones agricoles périurbaines autour des villes, qui peuvent fournir des produits à la population locale ( Mougeot, 2010 ).
Les activités agricoles urbaines sont diverses et peuvent inclure la culture de légumes, de plantes médicinales, d’épices, de champignons, d’arbres fruitiers, de plantes ornementales et d’autres plantes productives, ainsi que l’élevage de bétail pour les œufs, le lait, la viande, la laine et d’autres produits. (Lovell, 2010). Les différents types d’AU permettent à une variété de structures végétales de contribuer au paysage comestible dans un éventail de types de communautés ( McLain, Poe, Hurley, Lecompte-Mastenbrook et Emery, 2012 ), et cette large gamme de produits implique des tailles, des formes et des fonctions très hétérogènes. L’une des tâches de projet est de faire une typologie des formes d’agriculture urbaine en NA et leur connexion dans les trames urbaines.