A Toulouse, Camille Dumat fait pousser l’agriculture en ville
11 février 2019Au pied des immeubles, à la place des pelouses, et même sur les toits, l’agriculture trouve un terrain fertile en ville. Elle permet de valoriser de nouveaux espaces mais aussi les gens, selon la chercheuse Camille Dumat.
→ Consulter l’article de Sophie Vigroux (La Dépêche parue le 10/02/19)
Pour Camille Dumat, l’agriculture urbaine ne se résume pas à un phénomène de mode qui consisterait à faire pousser trois pieds de tomates en pied d’immeuble. Pour cette chercheuse, professeur à l’Institut national polytechnique de Toulouse, il s’agit d’une évolution cruciale pour le bien-être des populations, surtout dans notre contexte d’urbanisation croissante.
Mais à propos, quelle est sa définition de l’agriculture urbaine ? «À partir du moment où l’on a un site avec des jardins potagers ou de petites parcelles agricoles, qu’on commence à produire, à avoir de la biodiversité en zone urbaine ou périurbaine, on peut parler d’agriculture urbaine», répond-elle.
Pour cette universitaire de 51 ans, cofondatrice du réseau Agriville, le développement de l’agriculture urbaine répond à une prise de conscience collective, «même si depuis que les villes existent, il y a toujours eu des jardins, des arbres, de la nature. L’humain est rassuré par cette présence et surtout en meilleure santé.»
Camille Dumat estime que nous sommes allés trop loin dans nos modes de consommation alimentaire, dans nos pratiques agricoles, dans l’utilisation de produits chimiques et artificiels, sans avoir forcément conscience des externalités négatives et des impacts sur notre santé. «En ce moment, nous assistons à un retour vers la nature, la santé, le collectif. Et l’agriculture urbaine participe pleinement à cette dynamique», glisse-t-elle.
Camille Dumat va plus loin. Pour elle, l’agriculture urbaine amènerait même à s’interroger sur le sens qu’on veut donner à sa vie. «Aujourd’hui, on se dit qu’à l’échelle de la planète ça vaut le coup de passer du temps à cultiver son jardin, à cuisiner plutôt que d’acheter des plats préparés… Certes on perd du temps en le faisant, mais on en gagne en espérance de vie, en qualité, en intérêt.»
Pour Camille Dumat, le fait de cultiver des légumes dans les villes crée du lien mais pas seulement. Cela permet également de s’interroger sur la qualité de son environnement, de son alimentation et sur la notion de respect. «Quand on prend conscience du temps qu’il faut pour faire pousser une salade, on est prêt à payer le prix auprès des producteurs locaux pour les soutenir.»
En effet, à travers l’agriculture en ville, on assiste à une revalorisation du travail et du lien social. C’est un bon vecteur de valeurs. On se reconnecte à la production et la préparation alimentaire. «En redonnant de la valeur à ses aliments, on se redonne de la valeur à soi-même. Car nous sommes les meilleurs défenseurs de notre santé. Quand on se nourrit bien, quand on prend le temps de se poser pour regarder un paysage, on se traite bien.»
Une affaire de famille
Experte en agronomie, environnement, santé au laboratoire Certop-Axe Transition écologique, Camille Dumat se rêvait vétérinaire, «mais j’ai échoué au concours pour un demi-point».
Finalement, elle décidera de se consacrer à l’enseignement.
Après un premier poste à Paris, sur le campus de Jussieu en Sciences de la Terre, elle se retrouvera à l’Ecole d’agronomie de Toulouse, spécialiste de la qualité des sols. Aujourd’hui, elle intervient aussi en Sciences humaines et sociales dans le domaine de l’agriculture urbaine.
Spontanée, enthousiaste, sportive et toujours prompte à encourager ses étudiants, Camille Dumat en est venue à s’intéresser à l’agriculture en ville, par le biais d’un projet national sur les jardins collectifs. Un domaine qui réunit l’alimentation, la santé, l’environnement et l’éducation, soit quatre secteurs qui lui sont chers. «Je dois dire que dans ce domaine, Toulouse est très dynamique. La ville compte beaucoup d’associations très motivées qui rassemblent des gens de tous horizons. En plus, on a la chance d’avoir de grandes surfaces agricoles. Entre les jardins familiaux, ouvriers, partagés… sans oublier le développement de petites entreprises d’aquaponie, les projets Gardenia sur la vallée de l’Hers, Green My City, on peut dire que ça bouge.»
Née à Perpigan, Camille Dumat a passé les quatre premières années de sa vie à Libreville au Gabon. Depuis toujours, elle a des atomes crochus avec la nature. «Petite, j’adorais aller cueillir les tomates dans le jardin de ma grand-mère du côté d’Angers. De plus, mon père gérait un mess, j’ai toujours aimé donner de bonnes choses à manger, à beaucoup de gens.» Une valeur qu’elle a transmise à son tour à ses trois enfants pour qui l’alimentation est aussi sacrée. Mariée à un informaticien, Camille Dumat vit à Castanet-Tolosan où elle a un jardin «avec des légumes, des poules, des abeilles… C’est surtout mon mari qui s’en occupe.»
Quand on vous dit que chez les Dumat, c’est une affaire de famille !
Cofondatrice du réseau agriville
Avec d’autres Toulousains, Camille Dumat est l’une des cofondatrices du réseau international Agriville, en mai 2014. La semaine dernière, elle s’est vue remettre un chèque de 5 000 € par Toulouse métropole Habitat. Le réseau Agriville réunit des géographes, agronomes, sociologues, scientifiques.. issus de divers laboratoires et établissements qui travaillent sur l’agriculture urbaine. L’association développe des ressources pédagogiques : petits cours, exposés, films… qui sont mis en libre accès sur leur site. Agriville organise aussi de nombreux événements.
Sophie Vigroux (article publié dans LA DÉPÊCHE, le 10/02/19).